Parents

Franck Loquet, qui accompagne les familles avec enfants de moins de 7 ans dans leur parentalité, nous livre son article.

« Ce n’est rien de le dire, les parents de ce temps sont abreuvés de conseils et d’astuces en tout genre visant à les aider dans leur parentalité.  Que ce soit dans les rayons des librairies, sur les réseaux sociaux, dans les bouches des membres de la familles et des ami-e-s, dans le regard des professionnel-le-s de la petite enfance… et j’en passe !

L’intention est louable. Et peut permettre aux parents de réfléchir, d’imaginer d’autres façons de faire ou d’être, de nourrir leur curiosité ou de mieux comprendre les réactions de leur enfant en connaissant mieux son développement. Mais des réseaux sociaux aux pédagogies toutes faites, des recettes miracles aux conseils avisés frappé du sceau du « bon sens » ou du « c’était mieux avant », du parent parfait qui ne se met jamais en colère au parent parfait qui « ne se laisse pas faire », des conseils culpabilisants au possible à l’humour déculpabilisant à loisir, les parents sont bombardés d’injonctions, contradictoires entre elles et souvent paradoxales et il n’est pas toujours facile de s’y retrouver.

Un tourbillon d’émotions intenses

Alors bien sûr la sagesse voudrait que nous prenions tout cela avec recul et philosophie, triant ce qui nous convient de ce que nous ne voulons pas, pour le moment. Seulement, être parents de très jeunes enfants, c’est être dans un tourbillon d’émotions intenses et contradictoires, c’est être épuisé, inquiet, émerveillé. Tout à la fois.

Clairement comment prendre avec bienveillance la remarque de mamy sur la tétine ou celle de la copine sur l’allaitement, avec 3 heures de sommeils dispersées façon puzzle sur ce que les autres appellent « la nuit » ? Comment accueillir avec clairvoyance les « il faut » et les « tu dois » (« il faut accueillir son émotion » / « tu ne dois pas le laisser faire ça ») alors que la chair de notre chair (ce petit ange qui, il y a encore quelques secondes, nous souriait tendrement faisant fondre notre cœur de parent), se roule par terre, écarlate et écumant, là, devant le présentoir à bonbon du magasin, sous le regard de la terre entière (ou presque), nous laissant démuni autant qu’étonné.

Car notre enfant et notre parentalité ne sont pas pour nous-même des objets d’études, que nous pouvons observer avec neutralité et rigueur. C’est un ouragan qui nous emporte, dans un sens puis dans l’autre. C’est un gouffre de questions, de doutes et d’hésitations. C’est la part en nous, primaire, mammifère, c’est le cœur et le ventre qui parlent, pas le cerveau.

Rien ne nous prépare au surgissement de l’enfant dans notre vie.

Rien ne sera plus jamais comme avant.

Et il n’y a même pas de mode d’emploi ! Il y a des émotions, des ressentis, des impressions, puissantes paradoxales, contradictoires, flottantes, floues, persistantes et éphémères.

Être parent c’est essayer, tâtonner, recommencer. La parentalité c’est un brouillon permanent avec pour seule boussole l’immense responsabilité d’une toute petite vie, fragile et vulnérable : la nourrir, la sécuriser, l’entourer d’affection. En sachant plus ou moins confusément que l’on fait tout cela pour que cette vie grandisse, devienne libre et autonome, et s’en aille. Pas tout de suite bien sûr, mais tout là-bas demain, où notre regard embué de fatigue n’arrive pas encore à regarder.

Je suis plus que dubitatif devant les conseils et astuces, que l’on trouve en pagaille sur internet, et qui nous promette d’être « efficaces » et d’obtenir des « résultats ». Le problème n’est pas tant le conseil, d’où qu’il vienne, admettons que ce soit pour nous aider. Mais bien à mes yeux cette promesses « qu’il va marcher ». Qu’avec lui soudain quelque chose va changer, s’arrêter ou s’améliorer.

Genre « comme par magie »…

Comme si vivre une relation humaine (celle-la avec cet enfant, comme toutes les autres d’ailleurs) pouvait répondre à un processus efficace, évaluable et donnant des résultats. Une méthode duplicable chaque jour. En mode informatique (si j’ai bien codé le programme, il va se passer cela), industriel (si ma chaîne de production est bien organisée, le produit fini correspondra au cahier des charges), scientifique (si j’applique le bon protocole qui élimine tel biais, on obtient un résultat)…

Pour moi il y deux risques avec les conseils, les 5 astuces pour ceci ou les 4 étapes pour cela. C’est d’abord de laisser penser que ça marchera, et à tous les coups. Et c’est aller au-devant de désillusion. Car ce qui va fonctionner un jour ne fonctionnera peut-être pas le lendemain. Car cela dépend de paramètres nombreux et variés que nous ne maîtrisons pas. Être parent c’est alors avoir l’art de l’improvisation, en fonction de nos possibilités du moment. Peut-être que le sablier pour savoir quand aller se coucher ça va plaire à l’enfant un soir, mais peut être plus du tout le lendemain, par exemple.

Jamais au détriment de la relation

C’est ensuite le risque de laisser penser que des techniques, que des outils, peuvent à eux seuls apporter des solutions. C’est un risque car cela nous coupe de ce qui fonde à mes yeux la parentalité, à savoir une relation, un lien, entre plusieurs êtres humains. Alors bien sûr il y a des choses qui peuvent aider, soutenir, mais jamais au détriment de la relation. Car pour reprendre l’exemple du coucher, ce dont a besoin l’enfant c’est d’attention, de présence et de tant d’autre chose que le parent va parfois peiner à lui apporter, mais que le sablier ne lui apportera jamais, assurément.

Face à son enfant nous sommes des êtres humains, et nous faisons le plus souvent comme nous pouvons, avec la fatigue, les préoccupations diverses et variées, avec notre propre éducation et l’enfant que nous avons été, avec le doute et la culpabilité. Et ce que la parentalité vient questionner en nous c’est cela : comment prendre soin de l’autre sans prendre soin de soi, comment accueillir l’autre si je ne suis pas accueilli, tel que je suis. Et si la parentalité nous apprend que c’est possible, elle nous apprend que ce n’est pas toujours possible. Qu’aucun conseil, aucun outil et aucune pédagogie ne peut nous permettre d’être toujours tel que nous le voudrions, tel « qu’il le faudrait », tel que l’enfant en aurait besoin. On va essayer, de toute nos forces. Mais elles sont limitées. On va tendre vers cela, mais l’horizon de la perfection va reculer en même temps que nous avançons vers lui.

La perfection n’existe pas

Et c’est tant mieux. Car la perfection n’existe pas. Et l’enfant a besoin de le voir, chez son parent. Car ce qu’il voit alors ce n’est pas que son parent est imparfait, au contraire, c’est qu’il est humain. Et qu’il peut le devenir à son tour.

Après avoir dit tout cela, quelle meilleure façon de conclure qu’en vous donnant à mon tour un conseil en forme d’injonction ! Pour la route.

Ce serait celui-là : c’est d’essayer, de tenter de faire autrement, pour voir. C’est de savoir qu’on ne peut pas toujours être en état d’essayer.

Ne pas attendre de résultats, ne pas imaginer que ça va fonctionner. Mais goûter. Savourer. Ça a quel goût de nourrir une relation humaine ? Ça laisse quel goût quand je me mets à lui crier dessus ? Quand je le punis ? Quand je comprends ce qui lui arrive ? Quand je ne comprends pas ? Quand j’ai le temps de me mettre à sa hauteur et quand je n’ai pas le temps ? Quand j’arrive à prendre les choses avec légèreté et quand tout semble pesant ? C’est quoi mon goût préféré, celui que j’aime le mieux ?

C’est ça la parentalité : c’est vivre.

C’est ça la parentalité : c’est vivre. C’est quitter son enfant le matin avec un drôle de mélange de goûts dans la bouche : celui de l’énervement parce qu’il ne voulait pas s’habiller et surtout pas mettre sa chaussette droite et celui d’avoir pris le temps sur le chemin de s’émerveiller tous les deux de la couleur des feuilles en automne. C’est ça et tout le reste. A la fois. Comme le chantait Jacques Higelin : « La vie quoi, le bordel ! ».

Franck Loquet - https://franckloquet.fr/

Article écrit en octobre 2022

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